Ofelia Acevedo Paya à Paris pour demander une enquête sur la mort d’Oswaldo Payá
Ofelia Acevedo Paya a rendu visite à la SIDH France le 19 septembre dernier à Paris. La veuve du Prix Sakharov 2002, était reçue au Quai d’Orsay pour demander l’appui de la France dans sa demande d’enquête internationale auprès de l’Onu. Comme ses proches, la veuve de l’opposant cubain Oswaldo Payá, tué dans un accident de la route le 22 juillet 2012, remet en cause les circonstances de l’accident qui lui a coûté la vie (1) Pour les autorités cubaines, c’est un jeune responsable politique espagnol (Angel Carromero) qui est responsable de l’accident. Pour la famille Payá, le crime d’État ne fait aucun doute. Rencontre.
Quelles sont les raisons de votre visite en France ?
Ofelia Acevedo : La première raison, c’est de rechercher le soutien de toutes les personnes qui puissent se sentir engagées dans la défense de la justice et de la liberté, pour engager une enquête internationale sur les circonstances dans lesquelles mon époux, Oswaldo Paya, et Harold Cespero (responsable du Mouvement Chrétien Libération)ont perdu la vie. Nous avons déjà un certain nombre de points et de révélations qui confirment tout ce que nous savions depuis le début : ils ont été victimes d’un attentat perpétré par la sécurité de l’État – la police politique du régime en place à Cuba.
La seconde raison c’est que le peuple et le Gouvernement français appuient le droit souverain absolu qu’a le peuple cubain d’être consulté au moyen d’un référendum, afin que ce dernier puisse décider autour des principes fondamentaux pour l’avenir de la Nation.
Quels sont les nouveaux éléments sur l’accident?
O. A. : Le 22 juillet 2012, Angel Carromero, le conducteur, et Aron Modig accompagnaient mon mari Oswaldo et Harold Cespedes à une réunion du Mouvement Chrétien Libération à Santiago. Officiellement, c’est un excès de vitesse qui a causé l’accident fatal à mon mari et à Harold.
Mais les premiers faits que nous ayons sont les déclarations de l’Espagnol Angel Carromero. Il a confirmé ce que nous savions déjà à travers les SMS reçus le jour du drame, à savoir que c’est une voiture de sécurité de l’État, de la police politique, qui a frappé la voiture où se trouvaient les quatre passagers. (…) La version officielle dit que la voiture a eu un choc contre un arbre qui se trouvait sur le bas-côté. Angel l’a infirmé. De fait, même dans les photos, on voit un arbuste qui n’explique en rien l’accident. Il y a bien d’autres éléments mais il serait trop long de les détailler ici…
Je n’ai jamais eu de version officielle. Il n’y a eu qu’une version officielle diffusée par le régime totalitaire cubain sur la télévision d’État. J’essaie vainement d’avoir, depuis un an, des rapports d’autopsie réalisés sur les corps de mon époux et de Harold Cespero.
Tout ça, ça n’a été qu’un montage, donc une mise en scène pour pouvoir présenter cela comme un accident. Ce qui, en réalité, était un attentat pour en finir, pour tuer Oswaldo et Harold. Les menaces étaient très nombreuses depuis qu’Oswaldo avait dénoncé à de multiples reprises le changement, la fraude qui était présentée comme un changement: la succession par Raul Castro au pouvoir. Depuis très longtemps, il y avait une surveillance, et au cours de ce voyage, à l’occasion de ce voyage, le Gouvernement a pu mener à bien, a pu réaliser ce qu’il avait planifié depuis fort longtemps en ôtant la vie à Oswaldo et à Harold. Oswaldo représentait une alternative concrète de changement politique vis-à-vis du Gouvernement, contre le Gouvernement. Harold était le responsable de la branche « Jeunesse » du mouvement chrétien de libération. Nous savons la vérité et nous savons que les autorités voulaient se débarrasser d’Oswaldo et de Harold. Nous, la famille et les Cubains, savons la vérité et nous voulons que cela soit reconnu à travers le monde. Nous voulons que ces faits soient reconnus, et d’autres faits similaires ou qui pouvaient ressembler à cela s’étaient produits déjà auparavant, et nous voulons, par conséquent, que cela ne puisse plus jamais se reproduire dans les mêmes circonstances et vis-à-vis d’autres opposants ou dissidents.
Comment voyez-vous les contours de la Commission d’enquête, que vous proposez de constituer ? Quels pays, quels gouvernements pourraient en faire partie ? Et quelles en seraient les modalités ?
O. A. : Nous avons demandé aux Nations Unies, à la Commission sur les crimes extrajudiciaires une enquête internationale qui doit être, évidemment, indépendante du Gouvernement cubain. A Cuba, rien n’est indépendant vis-à-vis du Gouvernement. Nous l’avons également demandé à l’Union Européenne. Les Nations Unies ont accepté notre demande et hier, à Genève, j’ai eu une entrevue avec une haute fonctionnaire de la commission d’enquête sur les crimes extrajudiciaires. Elle m’a dit que le comité avait informé le Gouvernement cubain qu’il demandait une enquête sur la vérité sur le déroulement des faits. Jusqu’à maintenant, le Gouvernement cubain ne m’a rien répondu. C’est normal hélas. Il fait toujours la même chose dans des cas similaires.
Mais dans quelques mois, le Comité peut rendre publique cette initiative afin que tous les gouvernements soient au courant de la procédure. La Commission n’a d’autre moyen de pression que de continuer à demander au Gouvernement cubain quelles ont été les circonstances de la tragédie. Mais certains gouvernements membres de l’ONU pourraient reprendre à leur compte cette demande d’enquête. Cela pourrait être un des moyens au moment où se déroulent des négociations avec le Gouvernement cubain. Ces gouvernements pourraient nous aider — c’est l’un des objectifs de mon voyage — à faire pression sur le Gouvernement cubain pour qu’on essaie de faire la lumière sur les circonstances de la tragédie et chercher un appui sur des choses très concrètes, notamment le rapport d’autopsie des deux victimes.
Vous parlez de « pseudo-changement » ?
O. A. : Les véritables changements, ce seraient les droits. Raul Castro tente de donner une image de changement. On peut vendre sa voiture, mais la majorité n’a pas de voiture. On peut vendre sa maison : mais on vit dans sa maison, donc qui peut la vendre ? Les Cubains peuvent sortir librement du pays : mais quel pays leur donnera un visa sachant que les Cubains ne quittent l’île que pour s’installer ailleurs… Nous sommes dans la même situation qu’avant.
Quid de la libéralisation d’internet ?
O. A. : Cela vaut toujours 6 CUC l’heure. Et le salaire est de 15 à 20 CUC mensuels. Le pire étant que, même en payant, la ligne est très lente, Cuba n’a tout simplement pas l’infrastructure. Le temps d’ouvrir un journal étranger et l’heure est passée. Heureusement que l’opposition est parfois aidée par des accès internet dans les ambassades. Curieusement, ni la France ni l’Espagne ne le fait…
L’argent des émigrés – les remesas – circule pourtant dans l’île…
O. A. : Si vous avez de la famille, oui. Mais la majorité n’a pas de famille à l’étranger. Les prix sont hauts. La majorité vit de la corruption qui est devenue institutionnelle pour que l’Etat contrôle la population : c’est un chantage – un contrôle du gouvernement. Nous ne produisons rien. La population est désespérée. La population a les mains liées car le gouvernement menace tout le monde.
Après la mort de son fondateur, que devient le Mouvement Chrétien Libération ?
O. A. : Le Mouvement Chrétien Libération continue à travailler à l’intérieur de Cuba avec les mêmes projets que depuis ses origines : conquérir les droits pour les Cubains et projeter l’avenir qu’ils souhaitent.
Oswaldo avait une obsession : consulter le peuple. Il disait toujours: « Les Cubains ont droit à leurs droits ». Faute de partis politiques, il faut consulter absolument le peuple pour savoir ce qu’il va décider. Oswaldo a eu le prix « Sakharov », décerné par le Parlement européen pour son sa pétition (le Projet Varela, qui utilisait un article de la Constitution cubaine prévoyant qu’une pétition de 10 000 signatures autorise un référendum, NDLR). Il a récolté 25 000 signatures et avait toute légitimité pour demander cela.
Comment l’église cubaine vous aide-t-elle ?
O. A. : L’Église cubaine aide surtout le parti communiste. Le cardinal de la Havane (Mgr Ortega) est pour le parti. Cet appui au PC gêne l’Église car elle devrait appuyer le peuple.. Ce « processus de dialogue » entre l’Eglise et le gouvernement bénéficie surtout au parti et non au peuple. La soumission au totalitarisme a changé l’anthropologie de l’île. L’homme a changé à Cuba à cause de la peur. Il est difficile de comprendre ce qu’il se passe à Cuba quand on est né en France. Mais ce que je vous dis est vrai…
(1) Ainsi qu’à Harold Cepero, militant lui aussi pour les droits de l’homme.