Macron donne raison à Aron
L’Otan est en état de mort cérébrale a écrit Emmanuel Macron, dans une récent numéro de « The Economist ».
Il réagit violemment à l’élimination de l’Europe dans le règlement du conflit syrien. Il est vrai que cette partie du monde est maintenant régie par le duo russo-turc, sur le dos des Kurdes, pourtant nos alliés.
En provoquant ce choc, le Président français n’a t-il pas voulu pousser les Européens à prendre leur destin militaire en mains ?
Si l’on prend l’exemple de la France, plus grande puissance militaire de l’Europe, il est grand temps qu’elle se réveille. Rien que dans l’Armée de l’air, il y a un déficit de personnels de 2800 personnes et les équipements ne pourraient pas suivre, s’il y avait une guerre d’attrition*.
Cette situation ne donne t-elle pas, une fois de plus, raison à Raymond Aron ?
Alors que la guerre du Vietnam n’était pas achevée, il s’interrogeait sur la doctrine internationale des États-Unis.
Lui, qui, dans les dernières pages de République Impériale, dénonçait le contresens stratégique où s’enlisait l’Europe : « ce qui paraît à la longue inadmissible et déraisonnable, c’est que les Européens s’avouent eux-mêmes incapables de se défendre ».
Il dénonçait leur puérilité stratégique, eux qui « à la manière d’enfants effarouchés se précipitent vers l’oncle Sam », et exprimait sa préférence pour une certaine forme d’isolationnisme américain. Il voulait croire qu’une politique de retrait des États-Unis pousserait l’Europe à se renforcer militairement.
« Il m’arrive de penser que les diplomates américains en suivant les conseils des néo-isolationnistes rendraient peut-être le même service à l’Europe politique qu’ils on rendu à l’Europe économique » (….) Les Européens ne trouveront-ils pas en eux-mêmes, dans la conscience du danger, le courage et l’initiative nécessaires pour surmonter leur condition d’États protégés »
Avec clairvoyance, il envisageait que le pouvoir américain délaisse le terrain d’action du Moyen Orient. Il ne lui paraissait pas déraisonnable de penser que les États-Unis manifestent « un désintérêt croissant à l’égard des crises locales au Proche Orient. »
Emmanuel Macron ne se pose-t-il pas, aujourd’hui, ces questions-là ?
Quarante- cinq ans se sont écoulés. Et la stratégie un pas en avant, deux pas en arrière pratiquée en Syrie, à tour de rôle, par les Républicains et les Démocrates de Washington confirme plutôt l’intuition aronienne.
L’effet déstructurant du néo-isolationnisme, Aron l’a bien vu quand il mentionne le « relâchement » des liens qui en résulterait au sein de l’Alliance atlantique.
Il prenait très au sérieux le discours des tenants de « l’ isolationnisme modéré » adressé aux Occidentaux qu’il résumait en ces termes : « les Américains ne se battront plus pour personne, pas même pour sauver l’existence d’Israël » .
L’esprit isolationniste appartient à la conscience historique américaine. Aron en pressentait la résurgence sur la scène internationale. Au gré de ses voyages, de ses lectures et des colloques, il aura dialogué durant plusieurs décennies avec les personnalités et les universitaires d’outre Atlantique incarnant la philosophie de l’isolationnisme.
Faut-il rappeler que Raymond Aron développait son discours pro isolationniste – autrement dit sa théorie de la distanciation euro américaine – en pleine menace soviétique, au moment où l’URSS brejnevienne consacrait le maximum de ressources à l’armée rouge ( 30/40% du budget de l’Etat soviétique). C’était l’époque où le généralissime Gretchko tenait le haut du pouvoir à égalité avec Brejnev.
N’y a-t-il pas une convergence objective de principe et de vision entre les déclarations d’Emmanuel Macron et la position analytique de Raymond Aron ? Celle-ci ne répond elle pas à la logique de désengagement de Trump, comme à celle d’Obama.
Aujourd’hui, trois pays tiennent le haut du pavé en matière de dépenses militaires : les États-Unis d’Amérique poursuivent et approfondissent leur logique de désengagement amorcée par Obama, la Chine consolide sa puissance, la Russie retrouve sa place dans le concert international, et Macron cherche à sauver l’Europe… Un infime espoir : le fonds européen de défense (13 milliards d’Euros sur 7 ans), dont le règlement a été adopté à 99%.
Il faut souhaiter que les nouvelles institutions européennes votent en faveur de ce fonds européen. C’est la raison stratégique et au-delà un certain sens de l’histoire qui commande pareil choix. Les décideurs de l’Europe sont appelés à briser la tentation européenne de l’adieu aux armes.
Sabine renault sablonière
IHEDN 58ème
Colonelle de la réserve citoyenne de l’armée de l’air
(*) Lors d’une guerre, une stratégie d’attrition est une stratégie dans laquelle l’objectif est d’user les forces combattantes et les réserves ennemies, plutôt que la progression en terrain ennemi ou la destruction/occupation d’objectifs ennemis.