La Charia est-elle compatible avec la démocratie ?
Aujourd’hui, alors que des peuples sont en train de passer des mains de dictateurs dans celles de religieux qui veulent et vont obtenir qu’il soit fait référence à leurs principes et préceptes dans la Constitution, la question est : la Charia est-elle compatible avec la démocratie ?
La question qui vaut pour l’Egypte, vaut pour la France. Au moins pour ceux qui en France, répondent à la question qui se pose ailleurs et pour les autres.
En guise d’introduction :
La question de la comptabilité de normes entre elles peut recevoir une réponse différente selon le contexte du moment, en fonction du résultat que l’on veut atteindre.
Pendant très longtemps, les juridictions françaises ont refusé de se prononcer sur la conformité des textes votés par le parlement aux traités ou aux principes. Il s’agissait de laisser le dernier mot aux représentants du peuple. Puis le contrôle de la comptabilité de ces normes a été fait sous la pression du contexte européen, en attendant que le juges, un jour, se mettent –ce qu’ils ne font pas à l’heure actuelle- à s’interroger sur la correction des normes que le pouvoir politique inscrit dans la constitution ou fait voter par référendum.
Il en va de même de toutes les interrogations de comptabilité de normes : la réponse est contingente.
Il faut donc faire attention à la question. A la manière dont elle est posée, au moment et au contexte où la réponse est sollicitée.
I.
Quelques personnes (qui ne font pas partie actuellement du groupe majoritaire comme dans d’autres pays) interrogées en France et déclarant se soumettre à la Charia, répondent en général, qu’ils soient « modérés » ou pas (on entend ces derniers quand même moins dans les médias), que la « Charia » ne pose pas problème. Surtout après qu’il ait été retenu de la « Charia » ce qu’il faut (une « simple voie » suggérée… ) pour qu’au moment où l’on pose la question, la réponse soit qu’elle est « soluble dans la République ».
Dans les pays du golfe où les pratiquants de la « Charia » sont au pouvoir, c’est l’autre question qui se poserait (et que l’on ne pose pas tellement la réponse est évidente) : les valeurs de la République, les droits de l’homme et les libertés qu’elle défend, sont-ils compatibles avec la « Charia » laquelle sert par ailleurs de loi fondamentale ? Et un éclat de rire servirait de réponse.
Ce qui, dans une première approximation permettrait de dire que là où la « Charia » est appliquée, elle n’est pas compatible. Et qu’elle est compatible là où, comme en France, … elle n’est pas mise en oeuvre.
Premier signe que la question posée mérite réflexion. Et que la réponse doit être prudente. D’autant plus que la « Charia », qu’on s’en rapporte à l’histoire ou à la géographie, a un contenu à géométrie variable.
Ce qui rend toute analyse de contenu sujette à caution. Comme les déductions qu’on peut en tirer en fonction de l’objectif à atteindre ou du désir « d’éviter les vagues » ou de se concilier des électeurs.
II.
Lorsqu’à la fin du XIXème et au début du XXème siècle deux systèmes de valeurs et deux corpus de règles se sont affrontés, est-ce que les Républicains se sont posé la question de la comptabilité du droit canon ou des « Evangiles » avec les principes de la République? Et ont laissé au surplus le Pape, les évêques ou les fidèles qui pratiquaient, y répondre ?
Non, bien sûr ! Le seul fait de poser la question relève, deuxième alerte, d’une démarche dont la « légitimité » n’est pas, sous un certain rapport, évidente.
Elle invite à faire du « droit comparé », en acceptant de mettre les deux systèmes de règles sur le même plan et en confiant aux experts en religion le soin de faire le travail, puisque ce sont eux qui savent ou qui disent ce que la Charia veut dire, implique, ou permet de faire, aujourd’hui, demain ou après. Ce qui débouche inévitablement sur la conclusion que lorsque tout ou partie des règles que l’on a trouvées aujourd’hui dans la Charia « ne pose pas problème » il est légitime, par voie de conséquence, de demander à la République qu’elle en tienne compte. C’est à dire accepte, en dernière analyse, à en faire assurer le respect. Donc à permettre que les autorités religieuses édictent des règles relatives à l’habillement, aux horaires et à la nature de l’alimentation… , de manière générale à vie privée et non privée … auxquelles les lois de la République ne pourront pas s’opposer.
Elle tend la main à l’amalgame entre la foi et le cléricalisme, la foi étant censée justifier le reste. Bien que foi et cléricalisme ne soient pas synonymes. Et que l’on puisse en réalité défendre l’une et combattre l’autre.
C’est en gros cette démarche que, selon nous, le Conseil d’Etat a choisi d’adopter, avec son avis puis sa décision relatifs au port du foulard imposé par des hommes aux femmes relevant de la même appartenance religieuse (jusqu’ à ce qu’une loi atténue les conséquences pour la vie scolaire que des « religieux » ont attachées aussitôt à cette décision).
C’est cette démarche que, selon nous, des élus municipaux ont adoptée en cédant aux revendications des mêmes religieux de réserver la piscine à « leurs » femmes.
C’est cette démarche que des universitaires ont adoptée, lorsqu’ils ont fait contrôler l ‘identité de candidates voilées par des femmes, en dehors de la présence de professeurs ou d’étudiants (masculins).
Le tout évidemment, et comme il se doit, avec des arguments justifiant que la sphère d’action (= de compétence) de la République se rétrécisse et que ses principes soient ré écrits. (Et expliquant ou admettant que, par voie de conséquence, le cléricalisme puisse … progresser).
Décisions et arguments d’autant plus mauvais, qu’ils sous tendent un contresens évident sur le respect que la République s’impose s’agissant de la liberté de croire et de la liberté des cultes.
La République s’interdit d’empêcher de croire et s’interdit d’empêcher les croyants de toutes les religions de célébrer collectivement leur foi dans des édifices cultuels, églises, temples, synagogues, mosquées.
Mais en respectant la liberté de croire et la liberté de culte, la République ne s’est jamais imposé de mettre en œuvre aucune règle édictée par les églises, les systèmes religieux et les autorités de ces derniers. Surtout quand ces règles ont vocation à s’appliquer au delà de la sphère privée et en dehors des édifices cultuels.
III.
Car ce qui « pose problème », ce n’est ni la foi, ni même les « religions » en tant que telles, c’est le cléricalisme.
Se demander si les règles de la « Charia » sont compatibles ou non … c’est occulter quelque peu la question du rapport du pouvoir politique et du pouvoir religieux. Car les règles sont nécessairement émises par des organes.
Permettre au pouvoir religieux d’édicter des normes que le pouvoir politique respectera voire mettra en œuvre, c’est méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs.
Dans les systèmes politiques qui veulent (c’est l’idée qu’on se fait de la République) assurer la liberté intellectuelle, et la liberté de conscience de chacun (croyant ou non croyant), et l’égalité , le pouvoir politique doit être séparé du pouvoir religieux.
La règle de la République doit être séparée des dogmes.
Ce qui veut dire en clair que la règle de la République doit primer sur la règle religieuse. Ou si l’on préfère (ceci étant dit pour les adeptes des théories de la hiérarchie des normes) : la loi républicaine est « supérieure » à la loi des religieux.
Le clergé ne commande pas aux pouvoirs publics.
Dès lors, c’est à la loi républicaine, en présence de comportements tant profanes que d’origine religieuse, de décider si ceux-ci posent ou non « problème ». Tombent ou pas sous le coup de la loi pénale.
Si d’aventure les cléricaux de l’Islam n’arrivaient pas (c’est leur problème), comme les cléricaux du Catholicisme ont choisi -ou ont été dans le passé contraints de le faire-, à s’accommoder des principes de la République et à les accepter, acceptation mesurée aux pratiques, il faudrait nécessairement en tirer une constatation. Celle que les pratiquants de la « Charia », ont le cas échéant, un comportement incompatible avec les principes et les lois de la République. (Comme il en serait allé avec les Chrétiens si ces derniers avaient continué à laisser agir les tribunaux de la « Sainte Inquisition » et à réclamer que les hérétiques périssent sur les bûchers ).
Avec à la clef, les rigueurs éventuelles de la loi pénale pour les atteintes caractérisées, ou les exhortations à porter atteinte aux droits et libertés garantis par la République.
Le Catholicisme a survécu à la suppression de l’Inquisition comme à l’enlèvement des crucifix dans les écoles ou à la disparition des aumoneries dans les lycées. Les Catholiques s’arrangent pour s’alimenter le « vendredi-saint » lorsqu’il n’y a que de la viande au menu de leur cantine. Et pendant le temps où les prêtres se sont vus refuser l’accès à l’agrégation, les Catholiques ont compris qu’il était légitime que la République évite le mélange des genres dans les cerveaux, et laisse ouverte au genre humain, la possibilité de ne pas descendre forcément d’Adam et d’Eve ( la planéité de la terre ayant été sortie antérieurement des dogmes de l’Eglise).
Les Catholiques ne l’auraient pas compris, c’eût été leur problème. Pas celui de la République.
Il n’y a pas de différence à faire entre les adeptes des « Evangiles » et ceux de la « Charia »
En guise de conclusion :
Le débat sur la comptabilité entre la « Charia » et les valeurs installées par la République, ou les droits de l’homme et les libertés fondamentales –ce qui est proche- nous paraît pour une grande part être un faux débat, duquel ne peuvent sortir que de mauvaises réponses.
Affirmer que les institutions de l’Etat doivent être indépendantes de tout autre pouvoir, notamment religieux, et rappeler que les valeurs de la République sont (par principe) supérieures à celles figurant dans des dogmes quels qu’ils soient, règle ipso facto la question de la compatibilité de la « Charia » (parmi d’autres règles d’une semblable nature) avec les droits, les libertés et la démocratie. Puisque toute règle religieuse doit céder devant les règles de la République. (Pas besoin de faire l’exégèse des textes « sacrés » -ce que nous n’avons volontairement pas fait- pour poser ou ré affirmer ce principe).
Et ne peut que céder dans un régime de séparation des pouvoirs…
Supposons que la « Charia » ne soit pas compatible ….Ce qui est le cas là où elle est appliquée : Qui va l’abroger ? Si elle ne doit pas du tout être mise en œuvre, à quoi sert-il de la mettre dans la Constitution ?
Que la République d’une part, laisse chacun croire ou ne pas croire, le dire et le célébrer, et d’autre part, combatte les cléricalismes quels qu’ils soient (et aujourd’hui le cléricalisme qui s’affiche le plus et qui triomphe là il où constitutionnalise une religion) constituent deux obligations complémentaires.
C’est d’ailleurs la seule voie ouverte pour la défense des droits et libertés. En la matière, rappelons nous les paroles du chant du départ : « La République nous appelle …. » . Tout le monde. Croyants et non croyants.