Cambodge : une assemblée virtuelle
La situation de blocage politique actuel au Cambodge pose la question de la légitimité du gouvernement.
L’article 76 de la Constitution cambodgienne de 1993 stipule que l’Assemblée Nationale n’en est une que s’il y a au moins 120 membres ou députés. Le 23 septembre 2013, à l’ouverture officielle de l’Assemblée Nationale par le Roi, assisté du corps diplomatique, les députés du Parti du Salut National du Cambodge (PSNC), dirigé par MM. SAM Rainsy et KEM Sokha, respectivement Président et Vice-Président, étaient absents. L’assemblée n’avait donc pas atteint le quorum qui la rend conforme à la Constitution.
Les membres du Comité National des Elections (CNE) appartiennent au parti de HUN Sen.
Le PSNC conteste la validité des élections et demande le contrôle du comptage des votes par le Comité National des Elections (CNE) dont la majorité des membres appartiennent au Parti du Peuple Cambodgien (PPC) au pouvoir depuis le coup d’Etat de juillet 1997. Les raisons invoquées sont légitimes. Car plus de trois mois avant les élections législatives du 28 juillet 2013, une organisation internationale affiliée au Parti Démocrate Américain, le National Democratic Institute (NDI), et une organisation locale spécialisée dans les élections, COMFREL (Committee for Free and Fair Elections in Cambodia) ont trouvé la liste électorale défectueuse, parce que plus d’un million d’électeurs inscrits n’ont pas été enregistrés sur la liste électorale, préparée par le CNE, qui a son tour fait appel à une organisation thaïlandaise spécialisée pour vérifier ces assertions. Les résultats obtenus ne faisaient que confirmer ceux des deux organisations précitées. Au lieu de 1 sur 10, ce fut 1 sur 9 des électeurs qui n’avait pas été enregistré….
Malgré la demande légitime du PSNC et d’autres partis en lice à ce que la liste électorale fût révisée et complétée, le CNE prétextait le manque de temps matériel pour ne pas donner suite à cette demande. Les résultats des élections législatives, entachés de fraudes et d’irrégularités, furent encore plus contestés par le PSNC et d’autres partis politiques. Le PSNC fait la requête d’un recomptage des votes dans certaines provinces dont Kratié où COMFREL avait donné un siège de plus au PSNC. Le CNE, agissant comme cour de première instance à cette occasion, n’a pas donné suite à cette requête légitime, n’y trouvant aucune raison fondée. Le Conseil constitutionnel, agissant en tant que Cour d’appel dans le cas des élections législatives, avait seulement accédé au contrôle de la province de Kratié où l’irrégularité a été trouvée, mais malgré cette preuve les autres contrôles et vérifications demandés n’ont pas été faits par le Conseil constitutionnel dont six membres sur neuf sont affiliés au PPC, sous prétexte de manque de temps.
La virtualité règne au Cambodge
Dans ces conditions, avec le refus des députés du PSNC de siéger à l’Assemblée Nationale jusqu’à ce que leur demande légitime fût satisfaite selon les lois existantes, l’Assemblée Nationale incomplète demeure une Assemblée virtuelle et tous les actes issus de cette Assemblée virtuelle demeurent virtuels, y compris l’approbation du Premier Ministre et de son cabinet. En conséquence, le Décret Royal de nomination du premier Ministre reste aussi virtuel. Dans cette situation de virtualité juridique et constitutionnelle, toute reconnaissance des pays étrangers d’un gouvernement virtuel semble impossible: ce fut le cas de la France dont le premier Ministre avait félicité son homologue cambodgien, pendant qu’une déclaration du Ministère des Affaires Etrangères précisait que cela ne signifiait pas une reconnaissance. Récemment, le mercredi 4 décembre, l’organe official d’Agence de Presse du gouvernement chinois blâmait le premier Ministre HUN Sen et son parti, le PPC, de ne pas régler les problèmes existants rapidement.
Un Rapport d’une Coalition d’ ONGs pour les Droits de l’Homme connue sous le nom de Electoral Reform Alliance (ERA) qui va être rendue publique le 13 décembre prochain, confirme les irrégularités des résultats des élections législatives favorisant le PPC.
Par SON Soubert, Ancien Vice-Président de l’Assemblée Nationale, Ancien Membre du Conseil Constitutionnel et Haut Conseiller de Sa Majesté le Roi du Cambodge.