Cambodge : Un test de cohérence pour la communauté internationale
La récente et brutale répression politique au Cambodge a atteint son sommet le 16 novembre dernier avec la dissolution du principal parti d’opposition, le Parti du Salut National (PSN). Cette dissolution — qui résulte d’une décision de la Cour suprême de justice à l’instigation du Parti du Peuple Cambodgien (PPC) du premier ministre Hun Sen — fait s’écrouler le dernier pan d’une façade de démocratie déjà très abîmée sous un régime où la séparation des pouvoirs est un concept qui n’existe que sur le papier.
La dissolution du PSN, seul parti d’opposition représenté à l’Assemblée Nationale où il fait jeu presque égal avec le PPC, ramène le Cambodge à la situation antérieure à la signature des Accords de Paris de 1991, c’est-à-dire à un régime de parti unique de type communiste dont les dirigeants sont d’anciens Khmers Rouges. Les Accords de Paris signés par 18 pays — dont les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies — garantissent pour le Cambodge un processus de démocratisation devant conduire à la mise en place d’un « système de démocratie libérale et pluraliste ».
La dissolution du PSN constitue donc un déraillement fatal de ce processus de démocratisation qui devrait amener tous les signataires des Accords de Paris à réagir vigoureusement et à prendre les mesures adéquates pour faire revivre la démocratie au Cambodge. Cette dissolution ne conduit pas seulement à une violation d’un traité international mais elle constitue aussi une négation des principes démocratiques contenus dans la Constitution du Royaume du Cambodge.
On comprend la peur de Hun Sen à l’égard du PSN dont la récente montée en puissance menace sérieusement son pouvoir dans la perspective des prochaines élections législatives prévues pour juillet 2018. Mais Hun Sen, dans son entreprise d’éliminer le PSN, se trouve pris à son propre piège. Manipulant en même temps les leviers des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et faisant corriger les lois à son gré pour éliminer toute voix critique, il se heurte à une disposition de la Constitution qu’il ne peut faire amender faute de la majorité des deux tiers requise. Cette disposition (article 76 de la Constitution) stipule que l’Assemblée doit comporter au moins 120 députés. C’est sur ce point que Hun Sen trébuche car son système de gouvernement devient inconstitutionnel.
La dissolution arbitraire du PSN constitue notamment une punition collective pour les 55 députés du PSN dont le mandat parlementaire issu du suffrage universel a été subitement enlevé par un diktat. On ne peut que condamner cette négation de la notion même de représentation parlementaire qui est à la base de toute démocratie.
A coup d’amendements législatifs de dernière minute Hun Sen s’est acharné à redistribuer les 55 sièges parlementaires du PSN à une multitude de petits partis qui lui sont favorables mais qui n’ont obtenu aucun siège aux dernières législatives de 2013.
La communauté internationale qui a condamné la dissolution du PSN, ne doit pas suivre Hun Sen dans cette mascarade de redistribution des sièges parlementaires appartenant au PSN. Elle doit tout simplement demander le rétablissement des 55 députés du PSN dans leurs droits. Surtout et en toute logique, elle ne doit pas reconnaître leurs 55 « remplaçants » qui ne sont que des usurpateurs nommés par Hun Sen.
Ainsi, d’un point de vue démocratique et en attendant le rétablissement des 55 députés du PSN dans leurs droits, l’Assemblée Nationale n’est formée actuellement que part les 68 députés du PPC élus en 2013, ce qui est en contradiction avec l’article 76 de la Constitution.
C’est sur ces points de l’état de droit que la communauté internationale doit faire pression sur le régime de Phnom Penh pour obtenir la remise sur les rails du processus démocratique. En effet, chacun sait pertinemment que, pour des raisons politiques, économiques et financières, aucun gouvernement au Cambodge ne peut survivre sans légitimité internationale basée sur un respect minimum des principes démocratiques.
Sam Rainsy, Ancien président du PSN