Svetlana Tikhanovskaïa & Pavel Latushka | Revue Politique Internationale
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Le peuple biélorusse subit la dictature de Loukachenko depuis plus de 25 ans. Malgré sa victoire, Svetlana Tikhanovskaïa a été obligée de fuir la Biélorussie pour protéger sa vie. Pavel Latushka, un ex diplomate, a rejoint l’opposition et tente de répondre aux questions que pose l’avenir de ce pays. Il suggère de proposer le peuple Biélorusse au Prix Nobel de la Paix.
REVUE POLITIQUE INTERNATIONALE – N° 170 / Hiver 2021
Entretien avec Svetlana Tikhanovskaïa, candidate à l’élection présidentielle en Biélorussie, par Natalia Routkevitch, journaliste indépendante, spécialiste de la Russie
Biélorussie : la présidente
Natalia Routkevitch — Il y a encore quelques mois, vous étiez très loin de la politique. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous porter candidate à l’élection présidentielle ? L’avez-vous fait à la demande de votre mari, qui a été empêché de se présenter et qui se trouve derrière les barreaux depuis mai 2020 ?
Svetlana Tikhanovskaïa —Non. C’était ma propre décision. Comme vous le savez, c’est Sergueï qui devait être candidat. C’est moi qui suis allée déposer tous les documents nécessaires pour enregistrer le groupe de soutien à sa candidature (1). Or la Commission électorale a refusé, arguant du fait que, à ce moment-là, Sergueï était déjà en prison. C’est alors que l’idée m’est venue. Dès le lendemain, j’ai demandé à enregistrer ce même groupe, mais à mon nom à moi. Je l’ai fait parce que, dans ces circonstances, cela me semblait la bonne chose à faire. Et le groupe a été enregistré !
Les choses sérieuses ont commencé : en Biélorussie, pour se porter candidat à la présidence, il faut récolter 100 000 signatures de citoyens. J’étais totalement inconnue du grand public. Et pourtant, nous sommes parvenus très rapidement à atteindre l’objectif. Dans tout le pays, les gens, mus eux aussi par un profond besoin de justice, faisaient la queue pour me donner leur signature. Les Biélorusses, plus personne ne peut en douter aujourd’hui, ont une grande soif de changement. C’est pourquoi ils ont été si nombreux à se mobiliser pour que je puisse me présenter, et c’est pourquoi ils ont majoritairement voté pour moi lors de l’élection, le 9 août. Depuis ce jour, j’essaie de justifier la confiance qui m’a été accordée.
N. R. — Aujourd’hui, vous considérez-vous comme une femme politique à part entière ?
S. T. — Franchement, non. Pour moi, les vrais acteurs politiques doivent posséder un détachement et un recul que je n’arrive pas à avoir. Il est clair que je joue un certain rôle actuellement, mais je ne me sens pas dans la peau d’une politicienne tout simplement parce que, selon moi, tant que votre âme souffre pour chaque personne, tant que votre cœur ressent toute la douleur des gens, tant que vous ne pouvez pas dormir parce que ces souffrances, cette peur, c’est tout ce à quoi vous pensez, vous ne pouvez pas vous dire politicien ou politicienne. Politicien, c’est un métier ! (…)
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REVUE POLITIQUE INTERNATIONALE – N° 170 / Hiver 2021
Entretien avec Pavel Latushka, diplomate, ancien ministre de la Culture biélorusse (2009-2012), membre du Conseil de coordination et chef de la Gestion populaire anticrise, par Galia Ackerman, Journaliste
La Russie finira-t-elle par lâcher Loukachenko ?
Galia Ackerman — Monsieur Latushka, vous avez fait partie de l’élite du régime biélorusse. À ce titre, vous connaissez bien le président Loukachenko. Comment expliquez-vous sa longévité au pouvoir ? Par son charisme ?
Pavel Latushka — Sans aucun doute. C’est un homme qui possède un charisme puissant… Il sait influencer les gens, et je dirais même les masses. Je l’ai constaté à plusieurs reprises. Lorsqu’on lui parle, on ressent une sorte de pression, comme s’il voulait écraser son interlocuteur, le désarmer, le soumettre à sa volonté. Lors des réunions de travail du gouvernement, tous les participants ont la tête baissée ; ils prennent des notes sans lever les yeux vers Loukachenko.
G. A. — Vous aussi ?
P. L. — Je ne voudrais pas paraître plus courageux que je ne le suis, mais je peux vous assurer que, moi, je levais les yeux et je ne courbais pas l’échine. Bien que je fusse plus jeune que la plupart des membres du gouvernement, Loukachenko me vouvoyait, alors qu’il tutoie pratiquement tout le monde, selon la vieille pratique soviétique. Peut-être mon dos droit l’impressionnait-il…
G. A. — Après des mois de révolte populaire, diriez-vous que son charisme opère encore ?
P. L. — Le charisme de Loukachenko est clairement en panne. Je ne sais pas si vous avez vu ces images d’ouvriers et de représentants de diverses organisations alignés devant lui, affublés d’uniformes spécialement achetés à l’occasion : ces gens ont des visages de pierre, totalement inexpressifs. Ils ne croient plus en lui, c’est tout.
G. A. — Ce n’est pas la première fois qu’une réélection de Loukachenko provoque des protestations. Mais jamais elles n’ont atteint une telle ampleur. Que s’est-il passé ? Pourquoi la coupe de la patience populaire a-t-elle débordé ? Est-ce la gestion désastreuse de l’épidémie de Covid ou des raisons plus profondes qui ont poussé les Biélorusses à descendre en masse dans la rue ?
P. L. — Il faut comprendre comment, pendant des années, Loukachenko s’est servi de la carte russe. Il faisait du chantage à Moscou : « Je reste loyal à condition qu’en échange vous m’octroyiez quelques avantages. Et si vous ne me les accordez pas, je me tourne vers quelqu’un d’autre. » La Russie, qui ne voulait pas « lâcher » la Biélorussie, a été obligée de payer. Au fond, Loukachenko arrivait à maintenir à flot une économie à bout de souffle grâce à l’argent russe et aux tarifs préférentiels qui étaient consentis à la Biélorussie pour certains produits, en particulier l’énergie. Loukachenko achetait le pétrole brut et le gaz russes pratiquement au prix du marché intérieur, et il revendait sur les marchés mondiaux du pétrole raffiné et divers produits fabriqués dans nos usines pétrochimiques. (…)
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