Entretien avec Razika Adnani, philosophe, islamologue et conférencière franco-algérienne
Philosophe, islamologue et conférencière franco-algérienne, Razika Adnani a publié plusieurs articles de presse et ouvrages dont le dernier, Sortir de l’islamisme paru en décembre 2024 aux éditions Erick Bonnier, préfacé par Rémi Brague.
Sabine Renault-Sablonière : Le Coran étant le message transmis par Dieu à Mahomet, pensez-vous possible de le réinterpréter ?
Razika Adnani
Oui, bien sûr, car l’interprétation a été faite par des êtres humains. Et tout ce qui a été fait par des êtres humains peut être refait par des êtres humains d’autant plus que selon la croyance musulmane, c’est le Coran qui est la parole de Dieu, et non son exégèse ou les interprétations.
Cependant, se limiter à la réinterprétation des textes coraniques n’est pas la solution aux problèmes qui se posent comme le pensent certains pour qui les problèmes résident uniquement dans les commentateurs qui ont mal compris le message coranique. Dans mon ouvrage, je démontre que le problème existe dans les textes coraniques également. Dans le Coran, l’homme est considéré comme un être supérieur et la femme comme un être inférieur, par exemple, et l’esclavage est reconnu par 25 versets coraniques, ce sont quelques exemples des versets qui posent problèmes.
Ces versets font partie de ceux qui sont d’ordre juridique et donc politique. Ils comportent des recommandations qui ne sont pas adaptées à notre époque.
Des recommandations qui ont administré la société arabe au VIIe siècle ne peuvent pas être applicables à toutes les sociétés, en tout temps. C’est la raison pour laquelle, celles qui posent problème doivent être déclarées caduques et abrogées au lieu de chercher à les réinterpréter, c’est plus efficace et plus rapide d’une part, et, d’autre part, la réinterprétation ne permet pas de dépasser le problème posé. Il faut également mettre en avant les versets qui ont une portée universelle et humaniste, même si on doit les réinterpréter pour les débarrasser de l’interprétation des anciens commentateurs. C’est la raison pour laquelle je dis que la réinterprétation à elle seule ne suffit pas pour sortir de l’islamisme.
Ces versets qui ont une portée universelle existent dans le Coran, mais ils ne font pas partie en général de ceux que les musulmans ont choisis pour les mettre dans leurs livres de Droit. Les juristes ont plutôt choisi les versets qui infériorisent les femmes, qui ne reconnaissent pas la liberté individuelle et la liberté de conscience et qui appellent à ne pas avoir les mécréants comme amis. L’essentiel, aujourd’hui, est de refaire le choix qui a été fait. Dans cet ouvrage, je démontre que ce travail qui a comme objectif de construire à partir du même Coran un nouvel islam est possible. Cependant, je précise que négliger les versets qui posent problème ne veut pas dire les supprimer du Coran, qui est le livre fondateur de l’islam et le livre sacré pour les musulmans.
S.R.S : En France, on fait un distinguo entre l’Islam et l’Islamisme. Le premier porterait de belles valeurs, le second des valeurs négatives. Vous venez de sortir un livre : « sortir de l’Islamisme », qu’en pensez-vous ?
R.A. : Le terme islamisme tel qu’il est forgé en France au début des années 1980 pose problème. Je rappelle que ce terme a été créé en France au XVIIIe siècle, mais c’était pour désigner la religion musulmane. Ce n’est à partir du début des années 1980 que les politologues, les sociologues et les anthropologues ont décidé de lui donner un nouveau sens. Ils ont décidé qu’il signifiait un islam politique en lui ajoutant deux qualificatifs : ils le veulent un mouvement contemporain et distinct de l’islam. Cette distinction imposée par les universitaires, par complaisance ou par méconnaissance ou simplement par souci de politiquement correct n’a aucun fondement théologique ni historique. Elle pose un grand problème, car elle met l’islam à l’abri de tout regard critique en plaçant tous les problèmes en dehors de l’islam, c’est-à-dire dans ce que ces universitaires ont appelé islamisme et qu’ils ont décidé qu’il n’était pas l’islam.
Le concept de l’islamisme tel qu’il est forgé en France est une grande erreur scientifique et même une falsification de l’histoire, car il n’a aucun fondement ni théologique ni historique
Les musulmans ne parlent pas d’islam et d’islamisme, mais d’islam qu’ils ne dissocient pas de sa dimension politique. Ils parlent d’ailleurs d’islam et, pour désigner les groupes ou les comportements qui posent problèmes, d’islam radical ou d’islam fondamentaliste ou extrémiste.
Dans cet ouvrage, j’ai utilisé le terme islamisme dans le sens d’islam politique. Pour dire que l’on peut sortir de l’islam politique vers un autre islam qui n’est pas politique, c’est-à-dire un islam qui est une religion seulement qui s’occupe de la vie spirituelle, de la relation entre un être humain et son créateur et qui répond aux questions existentielles de l’être humain.
S.R.S : On voit fleurir un mouvement féministe islamique. Que revendiquent les femmes qui s’en réclament ?
R.A. : Le mouvement féministe islamique revendique l’égalité, mais prétend que cette égalité existe dans le Coran. Pour les hommes et les femmes qui se revendiquent de cette tendance, il n’y a pas d’inégalité dans le Coran, mais que celui-ci a été mal compris et mal interprété par la lecture patriarcale. C’est l’explication qu’ils donnent aux inégalités qui existent dans le Droit musulman dont sont victimes les femmes. Quant à la solution, les féministes islamiques proposent la réinterprétation féminine du Coran pour remédier aux interprétations masculines erronées. Or, la réalité, c’est que dans le Coran, les femmes et les hommes ne sont pas égaux. Le Coran ou les textes coraniques, c’est la même chose. Le Coran, renvoi au livre. Les textes coraniques aux versets coraniques. Deux expressions différentes, mais qui disent la même chose.
Quant à l’idée d’une interprétation féminine, revendiquée notamment par la Marocaine Asma Lamrabet comme solution est absurde. La vérité n’est ni féminine ni masculine. C’est tout simplement la vérité. Le problème des inégalités entre les hommes et les femmes ne sera pas réglé en remplaçant une interprétation masculine subjective erronée par une interprétation féminine subjective forcée.
Comme je le dis dans mon ouvrage, pour moi, le féminisme islamique est en réalité un féminisme islamiste étant donné que ses adeptes ne veulent pas se libérer de la charia. Elles veulent la faire évoluer pour qu’elle admette l’égalité entre les femmes et les hommes et continue à organiser la société. Or, on parle d’islamisme, comme islam politique, dès lors que la religion administre la société.
Je parle ici de la charia comme corpus législatif, car en réalité le terme charia est plus large que cela. Elle concerne toutes les règles qui organisent la vie des musulmans collective et individuelle, celles qui concernent la pratique du culte et celles qui concernent l’organisation des relations sociales. Celles qui posent problème, ce sont les secondes et non les premières si elles ne débordent pas dans l’espace public, comme c’est le cas du jeûne. On impose aujourd’hui de plus en plus la rupture du jeûne dans l’espace public et des soirées « iftar » en font partie du phénomène.
En fin, le féminisme islamique a affaibli de féminisme dans le monde musulman. Pourquoi, parce que dans le Coran, les règles concernant l’homme et la femme sont fondées sur la domination masculine. Les femmes musulmanes qui croient au féminisme islamique quand elles se tournent vers le Coran, elles ne trouvent pas l’égalité qu’elles cherchent et les interprétations féminines qu’on leur propose n’arrivent pas à prouver qu’elles ne sont pas des inégalités. La plupart de ces femmes musulmanes, à qui le féminisme islamique affirme qu’en tant que musulmanes leurs revendications ne peuvent émaner que du Coran, finissent par accepter les inégalités. Autre chose, si ces féministes islamiques vont par exemple discuter avec les législateurs dans leur pays pour leur faire admettre l’idée que le Coran il n’y a pas d’inégalité, qui vont-elles convaincre ? Dans mon livre, je démontre comment leurs réinterprétations ne peuvent convaincre que les féministes islamiques. Voilà pourquoi je dis que le féminisme islamique est une imposture intellectuelle.
S.R.S. : Si je vous suis bien, à partir du moment où les femmes acceptent la charia, les hommes sont rassurés, car ils ne se sentent pas remis en cause dans leur volonté de dominer les femmes. C’est un moyen de leur faire accepter les dictatures et le pouvoir de Dieu ?
R.A. : Il n’est aujourd’hui plus un secret que là où l’islamisme veut s’installer, il cible en premier lieu les femmes pour la simple raison que l’islamisme est un patriarcat et ne peut exister sans soumettre les femmes à ses règles misogynes. Cependant, l’islamisme est également un totalitarisme et, de ce fait, il n’est pas fondé uniquement sur la soumission des femmes, mais aussi sur celle des hommes et de la pensée. On oublie toujours de parler des hommes alors que, dans l’islamisme, eux aussi perdent leur liberté politique, sociale, religieuse et morale. L’islamisme cible en premier les femmes pour les soumettre à la domination masculine, pour imposer la charia aux femmes, mais surtout pour consoler les hommes de la perte de leur liberté. Les hommes musulmans acceptent leur misère morale, sociale et politique tant qu’ils sont les maîtres des femmes. Voilà pourquoi, je considère que la lutte contre l’islamisme doit se faire sur le terrain des femmes en premier lieu. Quand les femmes n’accepteront plus de se soumettre à l’islamisme et que celui-ci ne pourra plus garantir aux hommes d’être les maîtres des femmes, les hommes n’auront plus de raison de se soumettre à l’islamisme et celui-ci disparaîtra de facto.
S.R.S. : Mais vous dites que les inégalités existent dans le Coran.
R.A. : Je rappelle dans mon ouvrage que le Coran à lui seul ne constitue pas l’islam. Il y a également tout le travail qui a été fait autour du Coran et qui fait partie de l’islam. C’est pour cela que je parle d’islam révélé, selon la foi musulmane qui est l’islam qui existe dans le Coran, et d’islam construit. Ce dernier est constitué de l’islam coranique auquel s’ajoute tout le travail avec lequel les musulmans ont entouré le Coran.
D’ailleurs, les musulmans ont construit, à parti du même Coran, plusieurs islams : l’islam chiite, l’islam sunnite, soufi et d’autres.
On sait bien que c’est l’être humain qui a fait ce travail. Pourquoi il ne pourrait pas le refaire ? Ceux qui refusent considèrent que le travail humain comme une vérité absolue et de ce fait, ils considèrent l’être humain comme un égal de Dieu. Or, le dogme de l’islam est fondé sur le principe de l’unicité fondé sur l’idée que Dieu est unique et ne partage aucun de ses attributs avec aucune de ses créatures. Dieu est parfait, l’être humain ne l’est pas. Le relativisme de l’être humain est une conséquence de l’autre face du principe d’unicité divine.
Voilà, pourquoi, la réforme de l’islam à laquelle j’appelle doit inclure la théologie musulmane, car en réalité, c’est elle, avec ses théories et ses concepts, qui bloque. Il faut donc réformer la théologie, refaire le choix des versets comme je l’ai dit et réinterpréter ceux qui peuvent être réinterprétés. Je veux dire certains versets qui ont une portée humaniste, mais qui nécessitent de les débarrasser de l’interprétation des anciens.
Entretien accordé à Sidh-France, le 31 mars 2025
Réalisé par Sabine Renault-Sablonière
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Le blog de Razika Adnani : https://www.razika-adnani.com/
SORTIR DE L’ISLAMISME – Razika Adnani – éditions Erick Bonnier / EAN : 9782367603193